Fiche de lecture de « The Politics of Prostitution » de J. R. Walkowitz

Aujourd’hui, une de nos membres vous fait une fiche de lecture de l’article :

Walkowitz J.R., “The Politics of Prostitution,” Signs, University of Chicago Press, 1980, vol. 6, no. 1, pp. 123-135.

 

Judith Walkowitz (1975 – ) est historienne, spécialisée dans l’histoire du Royaume-Uni au 19ème siècle, notamment sur les conflits politiques et sociaux liées à la sexualité. Elle a publié son premier ouvrage sur le traitement du travail du sexe durant l’ère victorienne, dans ce pays. Dans l’article « The politics of prostitution », elle revient sur les origines historiques des attaques contre le travail du sexe.

Son article s’ouvre par le constat du « pot-pourri » que constituait les revendications des campagnes contre le travail du sexe. Cette thématique n’était pas l’unique sujet de discussion : face au « vice masculin », à la « lubricité masculine », ces campagnes dénoncent aussi la pornographie, et l’homosexualité. C’est ce que l’autrice appelle des « croisades anti-vices ». Pourtant, aucun de ces mouvements n’a réussi ses objectifs.

La régulation britannique de la prostitution des années 1860 (Contagious Diseases Act) visait à créer un contrôle sanitaire des travailleur.se.s du sexe face à un public militaire. Un lobbying se développa contre cette loi, vu comme imposant un examen dégradant, les femmes travailleuses du sexe devant se soumettre à un contrôle, sans questionner le côté masculin du phénomène et leur rôle dans la diffusion d’infections sexuellement transmissibles (Ce qui ne relève d’ailleurs pas que du travail du sexe, mais de l’éducation sexuelle en générale.). Ce mouvement vise à l’abolition de ces lois, et donne nom au mouvement abolitionniste. Les femmes travailleuses du sexe ne sont plus vues comme déviantes, déchues, mais comme des victimes de la convoitise masculine, de la misogynie généralisée qui sexualise les femmes ; mais aussi des rudes conditions économiques et sociales. Ces femmes qui envahissent le champ politique, critiquant des sphères classiquement réservées aux hommes comme la médecine ou la police, s’affirment comme les mères ou les sœurs de ces supposées victimes. A la place de l’autorité patriarcale, ces « mères » s’élèvent comme les voix portent l’unique vérité et le droit de contrôler la sexualité des autres femmes, recréant un lien de hiérarchie (notamment appuyé par une origine sociale plus élevée). Au contraire, d’autres s’affirment comme « sœurs » (Aujourd’hui, la notion de sororité s’est développée dans cet optique, avec des interprétations parfois trompeuses), visant à protéger les droits individuels et la liberté de choix des femmes travailleuses du sexe, sans être contrôlée par la police.

Déjà divisée, le mouvement n’avait alors que peu de poids. Au milieu des années 1880, un scandale journalistique suppute l’enlèvement d’enfants et un trafic immense de femmes au Royaume-Uni. Pourtant, les preuves d’une prostitution involontaire de jeunes filles à Londres et à l’étranger demeurent faibles. La solution à ce scandale ? Rehausser l’âge du consentement des jeunes filles (Si les faits énoncés avaient été réels, autant dire que les trafiquants n’auraient eu que faire de cette réforme légale). Aussi, ce scandale dénonçant la « corruption » de jeunes filles innocentes aura eu pour effet de regrouper les troupes contre les lois encadrant le travail du sexe. L’ennemi commun : « le vice aristocratique », celui supposé profiter d’un tel trafic. Finalement, « le désir de protéger les jeunes filles masquait à peine des impulsions coercitives de contrôler leurs réponses sexuelles volontaires et de leur imposer un modèle social conforme à la vision bourgeoise ».

Alors que le mouvement souhaitait à l’origine la suppression d’un régime juridique, ces demandes vont contribuer à la création de plus de pouvoirs pour la police notamment dans le contrôle des bordels, de nouvelles infractions relatives à la décence, qui seront notamment utilisées pour réprimer l’homosexualité, des livres érotiques, des peintures de nus (Ça ne vous fait pas penser à la censure de certains réseaux sociaux par hasard ? – Voix ironique), ou encore des campagnes en faveur des méthodes de contraception ou d’avortement. Ces réformes légales s’accompagnent de mouvements religieux promouvant le « sauvetage » des femmes et la chasteté masculine, offrant notamment des traitements puritains contre la masturbation (Alors que c’est aujourd’hui médicalement reconnu que ça fait le plus grand bien). Ce positionnement social accentue, en définitive, l’ordre patriarcal, cristallisé autour du mariage et de la « respectabilité sexuelle ». Comme le souligne l’autrice, « La lutte contre la régulation par l’État s’est transformée en un mouvement qui a utilisé les instruments de l’État à des fins répressives ». La question de la sexualité peut finalement être vue comme secondaire, comme une stratégie pour asseoir un pouvoir (Sur ce point, l’autrice cite M. Foucault, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, Histoire de la sexualité no 1, 1997 (cocorico)).

De manière identique au Royaume-Uni, les campagnes liées au travail du sexe visaient en premier lieu à abolir la régulation étatique, avant d’être principalement reprises par des courants puritains et soutenus par des féminismes réclamant un certain ordre moral.

Dans les deux pays, ces campagnes soulignent des différences de pouvoir entre les genres, mais aussi entre les classes sociales de la société, mettant en exergue des cultures et des modes de vie différemment (dé)valorisés. Si les jeunes femmes commencent, à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle à s’affirmer dans leur indépendance, notamment économique ou électorale, le modèle d’émancipation et d’accomplissement demeure le mariage hétérosexuel monogame avec reproduction.

Encore aujourd’hui, les affrontements politiques autour de la régulation du travail du sexe, ou encore de la pornographie, sont jalonnés par ces dominations de classe et de genre, certaines féministes imposant leurs propres biais et vision de la morale et de l’émancipation à des personnes qu’elles souhaitent « sauver ». Elles visent à définir des standards de conduite sexuelle. Pourtant, les origines de ce mouvement abolitionniste visaient plutôt à dénoncer le contrôle des femmes par l’État, masculin.

 

S. L.

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